Urgence casse-tête
L’autre jour une élève de cours particulier m’appelle à la rescousse car un contrôle lui pend au nez la semaine prochaine, et elle le sent un peu mal. C’est en physique, et elle est en 4ème. Nous convenons d’une date. Jour J. Il y a quatre exercices à faire, et une heure devant nous.
Le premier consiste à effectuer des conversions. Il y a plusieurs choses à savoir. Il faut connaître les correspondances entre les litres et les mètres cubes, les Pascal et les bars. Toutes ces belles choses sont dûment explicitées dans le cours, et ma petite élève s’en sort assez bien.
Le deuxième exercice consiste à dessiner une seringue avec ses petites molécules de gaz à l’intérieur, avant et après qu’on la comprime. Zéro problème.
Au troisième exercice, on vous donne les 3 dimensions d’une salle, et il faut en déduire le volume d’air contenu dans la salle. Là, elle a un peu de mal. Il lui vient à l’esprit qu’il faut calculer un volume, mais elle ne se souvient plus de la formule. Quand je la lui rappelle, elle calcule alors le volume de la salle. Alors je lui signale que pour répondre à la question, il faut qu’elle détermine maintenant le volume d’air contenu dans la salle. Son intuition joue favorablement : elle parvient à formuler que le volume de l’air EST celui de la salle. Au total, ma petite élève se débrouille à peu près en physique. Un petit coup de pouce et ça repart.
On aborde alors le quatrième et dernier exercice. Voici sa formulation (solution 1) : « On pèse un ballon sur une balance, qui indique 447,5 g. à l’aide d’une seringue, on retire 1,5 litres d’air du ballon, puis on le repèse et la balance indique alors 445,5 g.
- Quelle est la masse de 1,5 litres d’air ?
- En déduire la masse de 4 litres d’air »
On lui aurait demandé la longueur de la seringue ou la couleur du ballon que ça lui aurait fait le même effet. Or il y a là comme un léger paradoxe. Il se trouve que cet exercice, le seul sur lequel elle ait butté, n’est PAS un exercice de physique. Aucune connaissance d’aucune branche de la physique ne servira jamais à sa résolution. C’est un pur « casse-tête » où aucune autre notion que le bon sens n’est nécessaire. Un « piège à nigauds », une arnaque !! Cet exercice a une structure purement formelle, que vous pouvez colorer de toutes les nuances conceptuelles imaginables (physique mais aussi économie, médecine, sociologie, etc), de façon totalement indépendante de son contenu psychologique.
En voici par exemple une version « économie », en l’occurrence « CAP Vente » : « Un pâtissier achète 60 kg de farine. Il confectionne ensuite des gâteaux qu’il vend pour un prix total de 50 euros. Il lui reste alors 40 kg de farine.
- combien 50€ de gain représentent-ils de kilos de farine utilisée ?
- en déduire combien il faudrait de farine pour gagner 90€
Les deux formulations sont isomorphes. Elles font appel exactement aux mêmes compétences cognitives, en l’occurrence ni à aucune connaissance en physique, ni à aucun savoir en économie. Elles mobilisent, identiques, la même procédure de résolution : une soustraction suivie d’une règle de trois. La soustraction est normalement acquise vers 7-8 ans, la règle de trois vers 11-12. Ma petite protégée, du haut de ses 14 ans, maîtrise parfaitement les compétences requises. Pourquoi donc bloque-t-elle totalement sur ce problème ?
Les équipes de recherche en « didactique » (le nouveau nom pédant à souhait de ce qu’on a toujours appelé la « pédagogie ») ont plus ou moins montré de bien belles choses. Les enfants ne parviennent pas à mobiliser des compétences – pourtant parfaitement acquises -, quand la situation présente certaines caractéristiques : par exemple quand ils sont peu familiers des concepts qu’on leur soumet, et de la situation matérielle de l’énigme. Une application de ces intéressants travaux consiste à reformuler les exercices en ne changeant que leur contenu conceptuel et contextuel, tout en laissant inchangé leur contenu formel (c’est à dire le raisonnement qui donnera la solution).
Cette troisième version du casse-tête illustre la différence : tout adolescent peut plus ou moins s’y identifier. « Des adolescents ont réalisé, dans la cour de leur collège, une fresque de 24 mètres carrés de surface. Leur prof de dessin leur apporte 7 nouvelles bombes de peinture. Le lendemain la fresque fait 31 mètres carrés.
- quelle surface 7 bombes de peinture permettent-elles de peindre ?
- en déduire quelle surface les collégiens pourraient peindre avec 9 bombes de peinture »
Si si, je vous garantis que c’est exactement le même problème logique !! Je suis sûre que même vous, vous ne me croyez pas !? Pleine de bonnes intentions, la didactique nous signale que si les problèmes étaient formulés selon ce fameux principe d’« identification », les enfants auraient moins de soucis pour les résoudre.
Une adaptation possible de l’exercice initial serait la suivante : Pendant leur cours de physique, Johan et Alice pèsent un ballon sur une balance. Alice lit la balance, qui indique 447,5 g. Johan note le résultat sur leur cahier d’expérience. Puis ils introduisent une seringue dans le ballon par sa valve à regonfler. Alice tient la seringue fermement tandis que Johan commence à tirer le piston. La seringue se remplit de 1,5 litres d’air. Alice retire alors la seringue du ballon, qui est toujours posé sur sa balance. Johan note la nouvelle mesure qu’indique la balance : 445,5 g.
- Quelle est la masse de l’air que Johan a fait ainsi passer dans la seringue ?
- En déduire la masse de l’air que Johan et Alice obtiendraient s’ils avaient une grosse seringue de 4 litres.
Avec des exercices ainsi formulés, la didactique est formelle : le pourcentage de réussite scolaire augmenterait significativement. Fort bien. Je vois juste un très léger bémol à l’utilité d’une telle recherche : et bien les exercices ne changent pas et ne changeront pas (avant longtemps). Or nos enfants sont déjà là, à se les coltiner. Il est trop tard et toute la didactique du monde ne peut rien pour eux.
Je terminerai donc en vous proposant une autre approche, celle d’aider nos enfants directement. Les enfants (et leurs parents) pensent généralement que la résolution d’un problème de physique consiste à appliquer des connaissances. Du fait de cette croyance, ils considèrent un énoncé comme une liste d’indices supposée leur suggérer quelle formule (magique) ou quelle règle du cours leur donnera instantanément la solution.
Malheureusement, ce préjugé est tout à fait erroné. La résolution d’un problème consiste à déterminer une stratégie de résolution, donc une suite d’inférences (un « raisonnement »). Ce sont ces étapes une fois déterminées qui dictent chacune d’elles les connaissances à mobiliser. Bien souvent, la stratégie de résolution est suggérée par l’énoncé lui-même. C’était le cas des trois exercices sur lesquels mon élève s’est à peu près débrouillée : on demande de calculer un volume, c’est une méthode en soi, reste juste à mobiliser la connaissance de la formule du volume. On demande de dessiner une seringue, c’est la méthode, reste à mobiliser une toute petite connaissance sur la conservation du nombre de molécules. On demande d’effectuer des conversions, c’est une méthode brute, quoiqu’il faille encore se souvenir comment on trace les tableaux. Ces énoncés qui donnent (ou suggèrent fortement) la stratégie de résolution renforcent l’idée qu’il suffit d’appliquer des connaissances (« sortir son cours »), car c’est effectivement tout ce qu’il reste à faire *dans ce cas-là*. Mais c’est une bien lourde erreur que d’y voir l’essence de la stratégie. Car il existe aussi des énoncés qui ne suggèrent aucune méthode.
Masqués sous des concepts de physique ou d’économie, ils ne font appel qu’au raisonnement, à aucune connaissance du cours, et à des compétences acquises vers 9 ans. Ces mêmes exercices apparaissent dans les manuels des collèges et des CAP, indifféremment en physique, en maths, en force de vente ou en secrétariat.
En bref, ces exercices sont de purs « casse-tête ». Ils ont exactement la structure formelle des compilations de jeux (mots croisés ou jeux de « logique ») qu’on vend tous les étés par magazines entiers, pour plagistes désoeuvrés. Il y a plusieurs leçons à en tirer pour tenter d’aider nos enfants à mieux les appréhender.
- D’abord, il faut oublier à jamais que la physique consiste à appliquer des connaissances du cours. Tous les exercices de physique, de la 6ème au DEA (bac + 5), SONT DES CASSE-TÊTE. Ils constituent une énigme qui appelle une stratégie de résolution. Parfois, ils réclament aussi – ensuite seulement – des connaissances en physique, mais c’est bien loin d’être un cas général, surtout avant le lycée.
- Ensuite, les casse-tête sont vendus tous les ans en magazines à des millions de vacanciers en tant que passe-temps LUDIQUES, et toute l’année dans des boutiques spécialisées pour passionnés de la chose. Il convient donc d’enseigner à nos petits, non pas des connaissances, car le prof et le cours sont là pour ça, mais le PLAISIR qu’il y a à résoudre des énigmes, des casse-tête. Et ce, dès le plus jeune âge.
- Quand de tels exercices se présentent à l’école, vers la 6ème, il y a deux attitudes. Si votre enfant bloque sur la « matière », la physique par exemple, expliquez-lui que le casse-tête n’a rien à voir avec la physique, c’est un jeu qui se pratique dans toutes les matières, indépendamment de leur contenu en connaissances, et avec les adultes qui les achètent pour aller à la plage ! S’il bloque juste sur l’exercice mais pas la « matière », rappelez-lui sa nature de casse-tête et profitez-en pour souligner l’aspect ludique de tous ces « jeux » qu’on fait à l’école (dans toutes les matières), où le seul but est de résoudre des énigmes.
- Enfin, beaucoup d’enfants, à la suite de leurs parents, ressassent inlassablement la-question-par-excellence : « mais à quoi ça va me servir dans la vie ? ». Il est bien évident que connaître la masse de 1,5 litres d’air ne sert globalement jamais à rien ni à personne, même aux physiciens professionnels !!
Ces petits exercices ne sont que des casse-tête, qui, comme tous les casse-tête, entraînent à deux compétences :
- a – construire un raisonnement (une stratégie de résolution), et
- b – identifier les connaissances requises par cette stratégie.
De ce point de vue, cette question qu’affectionnent tant de parents et d’enfants, devient, pour la physique scolaire par exemple : « mais à quoi ça va me servir dans ma vie de savoir raisonner ? ». Ne soyons pas démagogique. à rien du tout. Il ne sert à rien de savoir résoudre des casse-tête. Toutefois, des gens y trouvent de la joie, tout simplement, même si ce n’est qu’au mois d’août à la plage. Or par une curieuse coïncidence, les compétences qu’on demande à l’école en physique comme en d’autres matières relèvent simplement de cette joie ludique.
Pourquoi pas alors l’enseigner à nos enfants, en faire l’axe principal de notre soutien à leur scolarité ? Trouver du plaisir à apprendre, à résoudre des énigmes, à répondre à des questions, et cultiver les dispositions qui le permettent augmentera probablement leur chance de succès à l’école. Mais en outre, il se pourrait bien que ça augmente tout aussi probablement leur chance de succès dans la vie, car percevoir le ludique quotidiennement, sentir le jeu dans les activités de tous les jours, être heureux finalement d’avoir quelque chose à accomplir… c’est tout simplement la définition du bonheur, et le bonheur, on ne le répètera jamais assez, ÇA S’APPREND !!