Freud astronome de l'inconscient.
Peut-être suffit-il de quelques phrases pour démystifier tout le parcours de celui qui voulu être l'égal de Copernic et Galilée réunis ? Celui qui aurait soi-disant réussi une « rupture épistémologique majeure » avec la psychologie de son temps sans toutefois en reprendre les travaux issus de la tradition de tests scientifiques qui l'a précédé. Celui enfin qui tout en travaillant dans un isolement qui fera de lui ce héros auto proclamé de sa nouvelle science privée, (laquelle n'est sortie que de l'auto-analyse de ses propres délires alimentés à doses massives de cette magique substance, la cocaïne, ainsi que d'autres inventions rocambolesques qui ont fait long feu depuis les travaux des historiens comme Jacques Bénesteau, Robert Wilcoks, Allen Esterson, Frederick Crews, Frank Cioffi, et tant d'autres encore), affirmera mordicus que cette imposture sans aucun précédent dans l'histoire des idées, était la science du psychisme, et pourquoi pas la « science des sciences »…
Mais soyons reconnaissants, et marchons un moment sur les sentiers dorés de la légende freudienne.
Freud, comme Galilée, possédait donc son télescope. Il l'avait d'ailleurs fabriqué lui-même. Dès lors, il pouvait comparer ses objets de recherche à des étoiles ou à des planètes, certes inaccessibles au toucher mais pourtant tout aussi expérimentables, croyait-il, que les astres de son modèle : Galilée.
Comment donc faisait Freud pour « voir » dans son télescope tant d'étoiles, de planètes, ces objets merveilleux de l'univers encore inexploré dans lequel il croyait s'aventurer ?
C'est fort simple, mais il nous faut quand même considérer que Sigmund Freud lui-même se plaçait très en avance sur son temps. Faisons de même.
Il utilisa donc des « négatifs », c'est-à-dire ses propres préjugés, ses propres fantasmes, ses propres rêves, qu'il plaça sur l'oeilleton de son fabuleux télescope, exactement comme si un charlatan de l'astronomie avait planqué une photo dedans pour mieux exposer au regard des autres le résultat extraordinaire de sa nouvelle découverte. A travers ces négatifs, Freud voyait donc tout ce qu'il voulait voir, et l'image projetée sur la lentille ne pouvait jamais le mettre en défaut. Ces « négatifs » étaient de véritables filtres du réel que Freud croyait découvrir de manière indépendante, comme Galilée. Ils étaient la réalité que Freud confondait allègrement avec le réel quand il ne la lui substituait pas totalement. Mais Ils possédaient eux aussi, une propriété extraordinaire que les plus grands artistes de la photographie ne leur renieraient pas encore aujourd'hui ou demain. C'était des négatifs qui ne pouvaient se tromper. Ils étaient auto-déformables à volonté, parce que les yeux de celui qui regardait à travers étaient également capables d'en modifier l'aspect. Comment était-ce possible ? Freud n'avait qu'à rêver, penser, fantasmer, délirer, ou prendre de la cocaïne, et ses idées lui venaient à l'esprit, elles lui disaient comment faire pour changer la nature du négatif à coller sur l'oeilleton de son télescope dans un infernal et éternel retour circulaire sur lui-même, de ses projections vers l'expression de ses fantasmes délirants.
Le télescope aussi était très spécial. Il était né et demeurait dans la tête de Freud. Personne d'autre que lui ne pouvait le manipuler, le vérifier. Il n'était pas l'objet indépendant dont tout scientifique à un impérieux besoin. Il lui permettait de découvrir dans son esprit ce que son esprit lui indiquait de voir. Merveilleux.
Une fois que l'aventure intérieure fut terminée, il tenta alors d'orienter son télescope vers d'autres sujets que lui-même. Et là, chose merveilleuse, les négatifs fonctionnaient aussi. Freud retrouvait sans arrêt des confirmations de ce qu'il voulait voir. Et surtout, il interdisait à quiconque de modifier les réglages du télescope qu'il avait légué. On ne pouvait en modifier la position, ni même en changer les négatifs sans respecter les préceptes du Maître. Il fallait toujours se référer au Maître qui orientait toujours le regard et même l'inconscient de ceux qui étaient initiés puis autorisés à manipuler le télescope. Ceux qui voulait regarder ailleurs, qui ne voyait pas les objets du Maître, ou qui prétendaient voir le contraire de ce que le Maître indiquait de voir, ceux-là, tels d'infâmes hérétiques étaient excommuniés du Cercle des initiés ou bien étaient considérés comme des malades, car leurs esprits pervertissaient l'esprit du Maître, lequel tout en enfantant le télescope avait dû se purifier au même instant de toutes les perversions et autres névroses qui circulairement auraient empêché cette naissance. La lunette magique permettant de voir les premières névroses connues et observées par le génie freudien ne pouvait elle-même être pervertie par ces mêmes névroses pour autoriser sa propre naissance ! Naissance qui ne s'autorisa donc que d'elle-même (Borch-Jacobsen).
Freud avait donc perçu l'immense danger qui menaçait la crédibilité de son télescope une fois qu'il fut ainsi sortit de sa propre tête d'où il était manipulé par ses propres pensées. Il n'était pas à mettre entre toutes les mains. Il fallait donc que chaque prochaine tête dans laquelle il devait être inséré, fut le plus possible semblable à la sienne. Des initiés, un Comité Secret, une bague d'alliance, et d'autres rites sectaires (H. Ellenberger ; Bénesteau) gage de fidélité absolue, tant par l'esprit que par le corps, étaient devenus logiquement nécessaires. Ainsi, le télescope restait toujours la propriété du Maître, à jamais dépendant de sa propre personne, lui qui avait été le premier et unique témoin de l'auto-fabrication de l'oeil universel…Et qu'arriva-t-il après la mort du Maître lorsque Lacan entreprit de débarrasser l'auto-analyse de Freud de ce morceau de névrose qui portait un préjudice si décisif à la légende ? « L'oeil était dans la tombe et regardait Sigmund »…
Ce télescope n'en tolérait aucun autre, sinon ç'eut été avouer clairement que l'Esprit du Maître s'était peut-être trompé, donc avait été pervertit, à sa source, par le Maître lui-même, puisqu'il avait été le seul témoin de sa naissance (Borch-Jacobsen ; Lacan ; Haddad). Le Maître était devenu un « Dichter » (Borch-Jacobsen ; « Le sujet freudien »), voire un Duce, ou une sorte de Fuherer, ne tolérant personne d'autre que lui et obligeant tous ses initiés, non seulement à porter toujours le même uniforme de l'Esprit, à se promener partout avec cet uniforme au même pas cadencé et avec l'arrogance intellectuelle de ceux qui pensent avoir triomphé sans partage, mais aussi à se muer en « Big brothers » du tout un chacun dans le monde. Tous les « Big brothers », clones de Freud, avaient maintenant pour mission de ramener l'immense troupeau humain sur les chemins humiliants et infantilisants de la reconnaissance de leurs prétendues névroses. La victoire totale de cette véritable blitz krieg de la psychologie qu'avait entamé Sigmund Freud, lançant ses « hordes sauvages » à l'assaut de la civilisation, était consommée lorsque d'autres non initiés devenaient à leur tour, des « Big brothers » capables de superviser, ou de soigner (y compris et surtout contre leur gré) toute brebis égarée qui ne se serait pas encore prosternée devant le nouvel Esprit du temps (Hegel).
Freud et son télescope réussit à concevoir et à mettre en branle un système totalitaire parfait. « Les formes de l'organisation totalitaire (…) sont destinées à traduire les mensonges de la propagande, ourdis à partir d'une fiction centrale (…) en réalité agissante ; à édifier, même dans des circonstances non totalitaires, une société dont les membres agissent et réagissent conformément aux règles d'un monde fictif. » (Hannah Arendt. « Le système totalitaire », Seuil, 1972, p. 91). Mensonges et propagande légendaire sur le rêve princeps de l'injection faite à Irma (Wilcocks) ; mensonges et propagande légendaire sur tous les grands cas traités par Freud (Ellenberger ; Bénesteau) ; mensonges et propagande encore sur sa correspondance, sur son auto-analyse, sur ses données cliniques, sur tout. Le mensonge dans le cas de la psychanalyse est à l'image de son créateur : lui aussi, il est pour ainsi dire « total ». La fiction centrale de la psychanalyse c'est son fameux télescope, bricolé avec l'auto-analyse, sa théorie de l'inconscient et son déterminisme psychique absolu aprioriste. Quelle machine bizzaroïde… Toute cette fiction engendra, telle une boîte de Pandore, d'autres fictions et tous les autres mensonges. Elle engendra aussi la désinformation et le terrorisme intellectuel pour protéger les légendes dont ils étaient le ciment (Bénesteau). Dans ces conditions, l'indépendance d'esprit et le jugement critique des futurs initiés devaient être exclus, excommuniés, et placés dans les goulags prévus à cet effet (névrosés résistants ; antisémites masqués ; etc.). « Au centre de ce mouvement [totalitaire], tel un moteur qui lui donne l'impulsion, se trouve le Chef. Il est coupé de la formation d'élite par le cercle intérieur des initiés qui répandent autour de lui une aura de mystère impénétrable correspondant à sa « prépondérance intangible ». (…) Toute sa hiérarchie a été entraînée à une seule fin – communiquer rapidement la volonté du Chef à tous les échelons. Cela accompli, le Chef est irremplaçable parce que toute la structure compliquée du mouvement perdrait sa raison d'être sans ses commandements. (…) La tâche suprême du Chef est d'incarner la double fonction qui caractérise toutes les couches du mouvement – d'agir comme défenseur magique du mouvement contre le monde extérieur ; et en même temps, d'être le pont qui relie le mouvement à celui-ci. » (Hannah Arendt, ibid, p. 101-102). Revoilà donc notre Freud, au centre de sa propre création et lui donnant toujours l'impulsion par ouïe-dire (Introduction à la psychanalyse). Et quel mystère impénétrable que cette fameuse et immaculée auto-analyse entourée de tant de glorieuses légendes qui nous ont fait de Freud un génie scientifique, véritable héros de son temps et de ceux à venir ! Quel mystère impénétrable autour de ses archives freudiennes bloquées jusqu'en 2052 et qui furent bloquées jusqu'à il y a peu, pour 2113 (Borch-Jacobsen ; Bénesteau)..Pour le reste on retrouvera sans peine la fonction de nos Big brothers freudiens. « On appelé les mouvements totalitaires « des sociétés secrètes établies au grand jour ». (…) Les sociétés secrètes, elles aussi, forment des hiérarchies suivant les degrés « d'initiation », elles règlent la vie de leurs membres selon une croyance secrète et fictive qui fait que toutes choses semblent être autres, elles adoptent une stratégie de mensonge cohérent pour tromper les masses non initiées (…) [le] Chef est entouré, ou est censé être entouré, d'un petit groupe d'initiés, eux-mêmes entourés par les semi-initiés qui forment tampon contre l'hostilité du monde profane. » (Hannah Arendt, ibid, p. 103-104). On sait que Freud avait son Comité Secret, cercle d'initiés, et on sait aussi que la passe, comme disait Lacangourou, est en fait l'initiation à la psychanalyse. Et puis cette hostilité du monde profane ; hostilité légendaire elle aussi dans l'histoire du freudisme, n'est-elle pas constituée de nos névroses de résistances à cette fiction qu'est la théorie de l'inconscient de Freud ? L'on pourrait trouver encore bien d'autres indices de la ressemblance frappante du système freudien avec la description que fit Hannah Arendt du système totalitaire.
La légende freudienne était donc en marche, plus rien ne pouvait l'arrêter, et les clones de Freud disséminés de par le monde, allaient répéter de manière roborative les milles et unes équations nécessaires au maniement du télescope. Mieux que cela, certains affirmèrent qu'il suffisait désormais de lire les maniements de l'appareil dans quelque livre du Maître pour être, comme lui, possédé par cet appareil, et voir comme le Maître, puis devenir, à son tour, un clone du Maître prêt à aller prodiguer les saintes paroles avec la même ferveur, et se faire le Big brother de son prochain, employé à le superviser, si nécessaire. Comble de l'horreur.
Mais de temps à autre, pourtant, il y avait des défauts dans les négatifs que le Maître plaçait sur l'oeilleton de son télescope, comme si soudain ils étaient devenus réfutables. Alors il suffisait à notre génie de se mettre à rêver avec une bonne paluchée de coke pour changer son regard, ce qui modifiait la structure des négatifs pour qu'ils puissent à nouveau lui permettre de lire les faits à partir de leur propre lumière…
Ainsi, la boucle était toujours bouclée. Et les récalcitrants rétifs aux absurdités et autres délires du Maître, eux aussi, pouvaient la boucler…
Patrice Van den Reysen