Chercheurs et "chercheurs" 3
Petit guide à l'attention de l'honnête homme.
Cet article est un petit guide à l'attention de l'honnête homme désireux d'acquérir une connaissance. Il existe deux types de connaissances, celles de la recherche internationale (qui sont des savoirs), produites par les chercheurs qui, en France sont des fonctionnaires (sauf dans certains branches technologiques), et toutes les autres connaissances, produites par des particuliers ou des adhérents de mouvements libres. Ces connaissances s'offrent au public sur plusieurs supports : les revues spécialisées internes aux centres de recherche ou de « recherche », inaccessibles hors ces centres, Internet, les magazines de vulgarisation « scientifique », et les livres. Il n'existe actuellement aucune volonté publique ou privée pour donner aux lecteurs une information minimale sur la nature des connaissances proposées sur ces supports, c'est-à-dire sur leur distinction entre connaissances et savoirs. Ce petit texte est une tentative préliminaire de remédier, provisoirement, à cette triste situation.
A – Les revues spécialisées internes aux centres de recherche
Tous les centres de recherche possèdent une ou plusieurs bibliothèque(s) spécialisée(s). C'est à l'intérieur de ces bibliothèques que vous trouverez les connaissances de la recherche telles qu'elles ont directement été produites par les chercheurs. Malheureusement, et surtout depuis les plans Vigipirate à répétition depuis 15 ans, leur accès au public est généralement fermé : n'y entrent que les étudiants, ou pire, les chercheurs eux-mêmes. Cette situation est tout à fait regrettable. Certaines acceptent des lecteurs « privés » s'ils justifient du soutien d'un chercheur, avec recommandation signée. Si vous en trouvez une qui vous accepte au moins à la consultation, comment identifier les publications de la recherche ?
Les publications de la recherche sont éditées dans des sortes de magazines appelés « revues » ou « périodiques ». Ils sont reliés par année et vous ne pouvez les reconnaître qu'au nom reproduit sur la tranche car souvent ce sont les mêmes relieurs qui les traitent. Premier écueil : attention, surtout en sciences humaines et en particulier en psychologie, certains périodiques ne sont pas des périodiques de recherche, mais de « recherche » ! Ils comportent le nom de la communauté dont ils vantent la théorie unique. Souvenez vous que la recherche, c'est de la « démolition de théories », aucun périodique de recherche ne peut donc comporter dans son intitulé le nom d'une école en particulier. Un moyen de les distinguer, est de consulter le comité éditorial : les revues de recherche ne comportent que des chercheurs, qui sont identifiés par leur université.
Si vous passez cet écueil (l'un des plus pernicieux d'ailleurs), vous accédez alors à la source même des savoirs. Dans chaque reliure, les numéros groupés par 10 ou 12 et dans chacun d'eux….des centaines et des centaines de purs savoirs !!! Puisqu'à ce niveau là, vous touchez déjà la source même des savoirs, il n'y a que deux recommandations à vous faire.
1 – Les savoirs eux-mêmes sont plus ou moins prouvés, ou assurés, il y a grossièrement deux degrés. Toutes les publications de ces revues ont subi au moins la critique de la revue elle-même, et celle des spécialistes internationaux auxquels le texte a été envoyé pour critique avant publication. La plupart des articles sont dans ce cas, c'est le niveau 1 de la preuve. Les savoirs exposés dans ces textes sont encore en phase de critique mondiale par le reste des spécialistes internationaux, qui comme vous ce jour là, sont en train de les lire partout dans le monde et de lui préparer leurs attaques. Il faut les considérer comme de solides hypothèses, en attente d'être mieux prouvées (mais aussi parfois, invalidées plus tard).
2 – Si vous cherchez les savoirs les mieux assurés, il faut lire ceux qui ont subi avec succès le niveau 2 de la preuve, la deuxième critique, celle des spécialistes mondiaux qui ont lu et critiqué le texte une fois qu'il a été publié par la revue. Comment le savoir ? Et bien cherchez des articles qui « font le point » sur un sujet de recherche. On appelle ça des articles « de revue » : ils passent en revue l'état des connaissances dans un domaine. à proprement parler, ces articles là n'exposent pas un nouveau savoir, mais font un point complet sur ce qu'ont donné, face à la critique mondiale, plusieurs théories concurrentes sur un même thème. Ensuite vous pouvez aller consulter avec plus de confiance les publications reconnues comme les plus solides par ces articles généralistes.
B – Internet
Internet diffuse des produits psychologiques à tous les stades de leur élaboration : il y a des idées, des connaissances et des savoirs. Les connaissances de la recherche, les savoirs, y sont extrêmement rares. Elles se présentent sur Internet sous deux formes.
D'une part à la page d'accueil des chercheurs, sur le site de leur université. Chaque chercheur met en ligne un certain nombre de ses articles, la plupart du temps des copies d'articles papier des revues de recherche où il a publié. Il convient tout de même de s'assurer de la nature de la revue de publication originale, selon les critères exposés ci-dessus.
Il y a un autre important écueil à franchir à cette étape. Quelques chercheurs affiliés à titre personnel à des communautés privées profitent de leur titres et fonctions, et de leur page de l'université, pour y exposer aussi leurs « recherches » ésotériques, effectuées en parallèle de leur travail de chercheur. Les pages étant heureusement vérifiées par la fac, ces textes hors recherche ne figurent jamais sous le nom de domaine de l'université. Vous remarquerez qu'à sa page de recherche, le chercheur/«chercheur» se contente de faire un lien qui renvoie à une page perso. Sur cette page perso, le raffinement va parfois jusqu'à utiliser le logo de la fac, sa charte graphique, et même une URL très voisine de celle de l'université… mais le nom de domaine privé, qui n'est plus *exactement* celui de la fac, ne peut laisser aucun doute sur la nature ésotérique des infos dispensées à cet endroit. C'est l'une des méthodes les plus redoutables pour faire confondre au public, aux journalistes et aux politiques, les savoirs de la recherche et les convictions personnelles.
Les connaissances de la recherche se présentent d'autre part dans des « périodiques » comme ceux nous avons mentionnés plus haut, mais directement en ligne. Il y a quelques années, les savoirs publiés sur Internet étaient toujours des copies de publications papier, extraites de ces revues. Aujourd'hui, il s'est créé de nombreuses revues en ligne, dans lesquelles on peut avoir confiance… si on sait les distinguer de celles de la « recherche », bien plus nombreuses, les critères étant les mêmes qu'en papier.
L'avènement de revues de recherche avec accès libre sur le web constitue une avancée remarquable dans l'histoire de la diffusion des savoirs, un pas de géant vers leur transfert direct du producteur au consommateur. Le premier moyen sérieux d'éviter la presse du vulgarisation, d'éviter les déplacements aux bibliothèques de recherche, qui ne sont pas légion dans certaines régions, et souvent interdites aux particuliers. Si j'avais un conseil à donner, chercher de telles revues sur le web serait selon moi la méthode la plus efficace pour accéder aux savoirs, actuellement, malgré les importantes restrictions de suspicion rappelées plus haut, à ne surtout pas perdre de vue.
C – Les magazines de vulgarisation « scientifique »
Les connaissances de la recherche traversent, en interne, plusieurs épreuves critiques, avant d'obtenir éventuellement, en interne, le statut de savoirs. La qualité de la vulgarisation des magazines dépend du nombre d'épreuves critiques qu'ont subi les connaissances qu'ils livrent au public. De ce point de vue, et contre l'intuition populaire, il n'est pas si important que l'auteur soit un journaliste ou le chercheur lui-même. Il vaut mieux un journaliste qui présente maladroitement des savoirs bien critiqués, qu'un chercheur qui cède à la tentation de livrer des convictions intimes.
– La bonne vulgarisation commente des travaux non seulement déjà publiés dans les revues spécialisées, mais critiquées par les spécialistes mondiaux après leur publication. C'est un pari difficile pour la presse grand public car ces publications, ayant subi toutes ces épreuves, sont déjà nécessairement vieilles de plusieurs mois. Aucun magazine grand public ne peut se le permettre exclusivement.
– La vulgarisation légère commente des thèses de doctorat, ou des publications qui viennent juste de paraître dans les revues spécialisées, qui toutes deux ne sont donc pas encore critiquées du reste des chercheurs mondiaux. C'est rapide et facile, le journaliste n'a qu'à lire la thèse ou le dernier numéro de quelques revues de recherche, et rédiger en même temps. Cette méthode constitue l'essentiel du travail de vulgarisation. Elle vulgarise de « sérieuses hypothèses », pas encore des savoirs assurés.
– La vulgarisation grand spectacle, quant à elle, résume ou commente des travaux… pas encore publiés du tout dans une revue de recherche ! C'est-à-dire avant qu'ils aient acquis le moindre statut de savoirs. Ce ne sont que des idées, lancées à la volée. Cette activité consiste à traquer le chercheur dans son labo et lui demander une « découverte » croustillante à diffuser directement au grand public. à ce stade, la recherche n'étant même pas encore une hypothèse, elle est, du point de vue des savoirs, une fable : les chercheurs comme les particuliers ont la tête qui fourmille d'idées, et la recherche consiste précisément à les filtrer par une longue procédure de preuve.
En pratique, la presse de vulgarisation vante les mérites de ses articles exactement en proportion inverse de leur degré de validité dans la recherche. L'interview d'un chercheur sur ses dernières idées « révolutionnaires » sera mis à la une du numéro. Les commentaires de thèses ou de publications toutes fraîches seront présentés sans trop de relief comme des contributions « définitives » au savoir. Enfin, les exposés de savoirs éprouvés par la recherche seront relégués à la rubrique rétrospective, souvent confinés aux « numéros spéciaux ».
Aucun magazine de vulgarisation ne comprend la différence entre la recherche et la « recherche ». Les particuliers, les membres affiliés à des communautés privées, surtout en sciences humaines, sont traités d'égal à égal avec les chercheurs de la recherche internationale… effectivement ça n'a aucune conséquence quand il s'agit d'exposer les convictions intimes de ces deux populations !
D – Les livres
Hélas, hélas, trois fois hélas, j'ai réservé le pire pour la fin.
Alors que dans l'imaginaire public, le livre constitue le support le plus prestigieux, la marque incontestée de la vérité, du sérieux de son auteur, du bien fondé de ce qu'il dit… hélas, hélas, six fois hélas, le livre est bien au contraire le maillon le plus abominablement faible de la diffusion des connaissances. Aucune connaissance livresque n'a jamais été critiquée par le simple fait de sa publication. Un éditeur vous le refuse ? Changez d'éditeur ! Il est presque impossible qu'à terme, vous n'en trouviez pas un qui l'acceptera. 7 000 éditeurs, rien qu'en France, attendent votre inspiration. Et au pire, éditez-vous vous-même à compte d'auteur.
Les essais scientifiques me direz-vous ? Ou de bons gros livres bien techniques achetés en librairie, signés de chercheurs ou mieux, de « grands professeurs » ? Certainement pas : toutes les contraintes de la publication de recherche sont absentes pour écrire un livre, quel qu'il soit. D'abord, la publication auprès d'éditeurs grand public ne nécessite aucun travail préalable de transformation d'une idée en hypothèse. On ne vous demande pas d'avoir une expertise quelconque, ni d'avoir pratiqué une expérimentation, de l'avoir dépouillée, interprétée et rédigée avec quelque rigueur que ce soit. Une nuit, vous êtes inspiré, vous rédigez tout ce qu'il vous passe par la tête en 24 heures sans manger et sans dormir. Le manuscrit est prêt, vous pouvez le proposer, sans autre forme de procès. Il ne sera soumis à aucune critique de spécialistes, mais simplement à l'approbation d'un comité éditorial professionnel de l'édition, seul et unique rempart avant diffusion au public.
Quelques maison d'édition toutefois se payent le luxe d'employer les services de chercheurs en tant que « Conseillers éditoriaux », qui sont chargés de lire les manuscrits et d'en donner leur avis. Cette procédure très honorable ne peut toutefois pas garantir de validité à la même hauteur qu'un comité éditorial, spécialisé, et international. De plus, dans la recherche, la critique sérieuse d'un article ne commence vraiment qu'à l'étape suivante, celle des referees anonymes, que ne subira jamais aucun livre en phase de soumission. Enfin, seules 2 ou 3 maisons très réputées, en France, pratiquent le recours aux chercheurs. Le compte est vite fait.
Dans le meilleur des cas, un livre cite des connaissances qui ont été validées par la recherche, mais il n'y a aucune garantie, et surtout, aucune obligation éditoriale, à procéder ainsi. De plus, le fantastique se vend très bien, et on ne peut guère reprocher aux éditeurs de pimenter un peu leurs publications, de sorte de mieux les vendre.
Et pourtant, et pourtant…. il existe bel et bien un genre de la littérature grand public qui reflète fidèlement la recherche contemporaine, et les connaissances validées qu'elle produit, les vrai savoirs, patrimoine de l'humanité.
Imaginez un livre qui vous explique dans des mots simples, avec plusieurs niveaux de lecture, des textes, des encadrés, des reproductions de documents, des photos, des schémas ou des dessins, ce qu'est un circuit intégré, comment se fait la digestion, ce qu'on sait sur les trous noirs, ce qu'on a établi de la tectonique des plaques…Le tout dans un style enthousiaste pour toutes ces belles choses que nos grands parents ne savaient pas encore, et qui sont établies jusqu'à ce que la recherche brûle ce qu'elle a adoré, la seule institution intellectuelle à savoir le faire. Ces documents existent… ce sont les livres pour enfants !
En termes accessibles, et la plupart du temps avec de superbes visuels, seules sont exposées les connaissances qui font l'unanimité de la recherche mondiale, au temps présent. Les livres pour enfant sont les seules valeurs sûres de la diffusion de la recherche au public. Quel plus bel endroit pour un adulte curieux, un éternel étudiant, que le rayon enfant de la bibliothèque ou de la librairie ? Et mieux encore, ce à quoi on pense encore plus rarement, les manuels scolaires. Dès la classe de quatrième, et en crescendo jusqu'à la Terminale où chaque livre est un vrai condensé de tout ce qui est le plus validé à l'heure actuelle, à l'exclusion de toute connaissance suspecte, vous trouverez adapté à votre niveau, une source inépuisable de connaissances prouvées, dans tous les domaines de la recherche fondamentale et appliquée. Les livres pour enfants et les manuels scolaires ont environ 10 ans de retard sur les résultats des chercheurs, ce qui est le délai pour qu'une connaissance se transforme en savoir dans la recherche internationale. Tout ce qui est présenté fait donc partie du socle de connaissances le plus solide que tous les chercheurs partagent pendant encore quelques années.
Je me suis longuement demandée en vertu de quel miracle la vulgarisation pour enfant échappait aux délires des adultes, qui plus est au sein des mêmes maisons d'édition. Chez le même éditeur, vous trouverez un traité de Télé-harmonie somato-intégrative par un « Grand Professeur », et à l'étage enfant ou scolaire, des tas de merveilleux livres de débutant (10 ans) à avancé (Bac), où aucune de ces élucubrations de haut vol ne seront, évidemment, jamais seulement mentionnées. La vulgarisation pour enfants serait-elle immunisée par un processus cabalistique ?
Une première chose, c'est qu'il y a des millions de théories hors de la recherche, non prouvées, et seulement un petit nombre dans la recherche (dès qu'on sait, on sait qu'on ne sait pas !). Ensuite, tous les savoirs de la recherche sont liés : l'atomique permet d'expliquer la thermodynamique, la physique permet d'expliquer certaines lois de physiologie ou de géologie, la mécanique rationnelle, l'électronique et l'astrophysique permettent la technologie et les voyages spatiaux. Au contraire, tous les systèmes émanant de communautés hors recherche sont indépendants les uns des autres, et incompatibles. Ils prônent chacun une vision du monde qui exclue celle du voisin. Tout éditeur aurait donc un choix cornélien à effectuer s'il voulait étendre ses diffusions aux systèmes hors recherche : lequel choisir ?
Ensuite, il y a une piste d'explication qui me plaît bien. Nous élevons nos enfants dans l'idée que bien des choses sont intéressantes, et parfois même, pour les plus optimistes, qu'apprendre est aussi en soi une chose intéressante. (ensuite ça se tarit puisqu'on leur explique plutôt que la vie n'est qu'une longue suite de difficultés à surmonter, comme s'il n'était pas sérieux pour un adulte d'être heureux et optimiste, en particulier grâce à sa curiosité pour le monde).
Or il y aurait certes une petite enquête à faire pour confirmer, mais il me semble bien que la plupart des théories hors recherche sont des théories de dépressifs. Elles sont bien souvent motivées par un dégoût du monde, des institutions, voire des gens. Les producteurs de ces systèmes sont avant tout des gens qui souffrent, qui n'ont jamais réussi à être heureux. La plupart de leurs productions reflètent clairement cet état psychasténique, elles véhiculent au moins un type de haine : pour l'une l'homme est un pantin mû par des forces aveugles, pour l'autre la médecine est le tombeau de la santé, pour d'autres encore, la physique n'est qu'un carcan à étouffer le génie, et toute la « science officielle » une machine à broyer l'innovation.
Les dépressifs ont peut-être une difficulté innée à communiquer avec les enfants, qui sont si naturellement gais, ce qui limite leur velléités de vulgariser leurs idées envers cette cible éditoriale. Mais de leur côté, les éditeurs pour enfants, qu'il n'y a pas lieu de croire tous dépressifs, doivent bien sentir qu'une apologie du malheur, qu'une haine de la vie et des institutions, ne convient pas aux enfants (hélas je doute qu'ils soient motivés par le fait que ces connaissances soient « hors recherche », n'y voyant que du feu comme les autres).
Toujours est-il qu'entre la littérature pour enfants et la mise en ligne des publications des chercheurs, les outils et les supports sont de plus en plus variés et performants pour que l'honnête homme accède aux savoirs. Encore faut-il pouvoir distinguer les savoirs des autres connaissances. J'espère que ce petit article aidera ceux qui voudraient s'y essayer.