Art conceptuel
Très influencé par les Arts du XXe siècle, qu’ils soient plastiques, musicaux ou photographiques donc bien moins attiré par les prédécesseurs outre leur influence évidemment déterminante, je me suis posé un moment cette question : où s’arrête l’extraordinaire profusion dans les Arts Plastiques de ce siècle qui m’a vu naître ? La question est biaisée puisque j’estime que la peinture, sujet principal de cet « essai », commença sa descente à l’arrivée de ce qui est appelé l’Art conceptuel, à peu près au même moment que mon arrivée dans ce monde. Coïncidence totalement fortuite.
Tout débute pour moi lors de ma première et dernière visite de la FIAC (Foire Internationale des Arts Contemporains) en 1986. Je suis alors étudiant en Arts plastiques à Paris I et c’est tout naturellement que je me jette sur l’entrée de cette foire, au Grand Palais. Première mauvaise surprise, le prix d’entrée (un peu moins de 50F à l’époque) et aucune réduction pour les étudiants en Arts. Payer pour acheter – il s’agit d’une foire – me semble constituer une contradiction. Me voici au milieu de ce temple de l’Art contemporain, parcourant les allées brouillonnes. Constat liminaire : pas grand chose attire mon regard. A l’époque je suis déjà engagé dans une recherche personnelle sur la photographie ; mon oeil est comme un objectif.
C’est alors que je tombe nez à nez avec un oeuvre étrange : trois briques de bois, de section rectangulaire, sont posées à même la moquette grise d’un stand. Deux couchées, apposées contre les champs d’une troisième verticale. L’esprit pourtant assez ouvert je m’interroge… et me dirige vers l’hôtesse du stand (que je prends naturellement pour l’auteur).
Ma première question est volontairement provocatrice : quel est le prix de cette production ? Gênée voire offusquée, la demoiselle tente de m’expliquer la teneur de cette oeuvre qu’elle estime, mais que l’artiste serait mieux placé pour me détailler les fondements de sa création… orientée Est-Ouest ! Plus loin, sur un mur, un tableau blanc non peint : juste un petit carré d’huile « bleu ciel » sur la toile vierge (en haut à droite je crois). Bizarre, j’ai déjà vu ça quelque part… dans les livres traitant des débuts de l’Art dit moderne. Il s’appelait Kazimir Malevitch me semble-t-il 🙂
Suite à cette foire-exposition je sentis le courroux m’envahir, profondément démotivé par la création picturale de cette fin de siècle. Je m’engageai dans des discussions parfois agitées avec mes contemporains (famille, amis, étudiants, enseignants) à propos de ce « mouvement » et ses avatars. Au bout du compte j’estimai que faire passer le concept avant l’oeuvre ne me semblait plus correspondre avec l’idée même des Arts plastiques en particulier, que c’était une fuite de l’oeuvre elle-même.
C’est le choix du détour, d’une approche qui se veut plus philosophique que technique et visuelle : l’oeuvre d’Art n’est ramenée qu’à une vue de l’esprit. Le cheminement prime sur l’aboutissement et les moyens se moquent de la fin.
On me rétorquera que le conceptualisme est une forme d’approche nouvelle ; que toute approche nouvelle peut (doit ?) mener à une autre idée de l’Art du moment ou futur. On m’expliquera, à juste titre, qu’on ne peut sans cesse se réclamer des prédécesseurs. Ces derniers, génies avérés ou tombés dans l’anonymat, sont aussi passés par une remise en cause, une table rase. Que l’Art, aussi, doit tendre vers la modernité… sous entendu la nouveauté absolue ?
En matière d’Art, je ne me suis jamais senti en communion avec cette approche du nouveau à tout prix et du jamais vu. Comme je n’ai pas vu le rapport entre les Arts plastiques et l’essentiel des « performances », dès lors que des corps nus et dorés de peinture se tortillent sur une scène en quête de représentation picturale (j’ai, entre autres, assisté à ce « happening »). Du théâtre ? Je peux l’admettre aisément.
L’Art conceptuel, du moins celui qui m’a été montré, rime plus avec littérature qu’avec pictorialisme, avec philosophie qu’avec peinture. Le conceptualisme, je crois, remet en cause l’héritage des maîtres en voulant trouver sa place. Trop petite place ?
S’inspire-t-il de Marcel Duchamp, qui a exposé son hérisson porte bouteilles ou sa fameuse pissotière… en 1917 ? (cf. illustration)
Geste provocateur, oeuvre anecdotique d’un artiste versatile et complet. Comme un coup de pied dans la fourmilière. Mais après ça ? Pourquoi continuer de montrer une chaise ? Est-il gratifiant – pour le public ou pour soi-même – de n’exprimer sa production qu’à travers un dictionnaire ?
Réduire les Arts plastiques à un concept m’a toujours paru incompatible avec les aspirations des peintres, sculpteurs, dessinateurs de tous les temps. Au risque de me désintégrer dans l’erreur, je ne suis pas certain que ce mouvement ait tant apporté à ce domaine. L’Histoire jugera à ma place. Indirectement, mon point de vue tente de rendre hommage aux artistes qui ont fait vibrer mes sens… les autres !
Jasper Johns – que je place très haut dans ma boîte à maîtres – est un exemple de peinture résolument moderne, mais aussi résolument traditionnelle. Qu’on aime ou pas, ses oeuvres se suffisent à elles-mêmes et c’est tout ce que je demande : l’émotion. La justification a priori tue l’émotion, j’en suis convaincu. La peinture ne doit pas systématiquement se comprendre (c’est parfois intéressant) mais surtout être sentie, vibratoire, éventuellement accessible si la question est de se faire aimer. Le conceptualisme avait-il pour objectif de rencontrer le plus grand nombre ou n’être qu’une comète dans la pensée philosophique ?
A travers cette vision personnelle, je pourrais me poser la question de l’existence même de l’artiste. Mais c’est une autre histoire !